Jean-Pierre Gillard

gpbroutin.com, 2002

Que choisir de faire ressortir d’une oeuvre peinte commencée depuis 1968? D’abord que dans sa dimension hypergraphique elle est probablement l’une des plus “écrites” parmi toutes celles des artistes de ce mouvement. Et puis parler de la limpidité qui s’en dégage. Une sorte d’évidence confondante. D’ailleurs, répondant un jour à une interview, l’artiste affirmait : “pour moi une toile n’est jamais ratée”, signifiant de façon presque zen qu’il n’y avait pas de problème à intégrer de possibles accidents de réalisation. Car il y a de la liberté et de la joie à la Miro dans ces toiles, y compris dans leurs variantes hermétiques, et tout autant dans sa grande fable d’art corporel Les habitants de N.Y. et les plongées dans l’histoire de l’art des oeuvres excoordistes.
Dans le cinéma et la vidéo, on retiendra d’abord deux films en collaboration (Curtay, Gillard, Poyet, Sabatier), Cinématographie discrépante et Buster-Mélies ciselant, les deux de 1969, très classiques d’une esthétique où la pellicule est attaquée ou enrichie par divers moyens comme le grattage, le dessin, etc. On les a vus souvent dans les spectacles de la NGL. En 1971, il y a un petit film très drole, très spirituel : Coupures! Un film qui ne commence jamais, étant perpétuellement stoppé par le projectionniste. On est plutot dans l’ordre de l’imaginaire. Et puis probablement les deux plus significatifs, les plus personnels aussi, La Koriontina de 1979 et Les platanes alignés de 1984, qui sont des travaux hypergraphiques, utilisant des textex comme prétextes pour faire naitre, en une succession de plans très courts, l’émotion de son alphabet. “La beauté de l’oeuvre est sa nécessité”, dit-il.
C’est dans la concision voire le laconisme que l’artiste s’est d’emblée situé dans l’art de la lettrie, tout-à-la fois poésie et musique avec sa trilogie de 1971, Le pousse-pousse, Un fameux chapeau et Drôle de temps, usant notemment des 19 lettres nouvelles codifiées par Isou, de l’aspiration au sifflement. Versificateur hermétique des Stances à Jean-Paul Curtay et de Très belle lettrie pour soliste virtuose, il a aussi su faire émerger de nouvelles dimensions comme par exemple dans les somptueuses rêveries qui composent Un sens plus loin de 1993 : “Il faudrait sentir le toucher, sentir le goût, sentir l’ouïe, sentir la vue / Il faudrait toucher l’odorat, toucher le goût, toucher l’ouïe, toucher la vue…” Il est enfin un improvisateur facétieux, apportant distance et humour, comme avec ses tapes sur les joues et ces fameuses claquettes devenues la marque d’un style.
A signaler que Gérard-Philippe Broutin a dirigé des revue comme La Seule Vérité Plastique, et qu’il a été l’éditeur d’isidore Isou. Bien sûr pour l’important Jonas ou le corps à la recherche de son âme, un roman, en 1984, pour Mise aupoint sur ma création et ma personne en 1994, et encore d’autres textes d’économie politique dont des tomes du Soulèvement de la Jeunesse.

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